

~ Clair de Lune ~
Minuit est là, je ne dors pas. Malgré la fatigue engourdissant mes membres, mon esprit refuse de trouver le repos. Mes pensées, mes angoisses fusent en tous sens comme des abeilles égarées, cherchant désespérément leur pollen. Soupirant, je finis par me redresser dans mon lit, mon regard hagard fixant les ombres projetées sur les murs de ma petite chambre à coucher, par le halo lumineux et obstiné se frayant un chemin à travers les épais rideaux. Mes yeux finirent par s'arrêter sur mon piano, posé dans un coin de la pièce, baignant dans la lumière argentée de l'astre mère. Me disant que je n'arriverais sans doute pas à dormir de toute manière, je me lève péniblement de mes draps, me trainant jusqu'à l'instrument.
Une fois installé face à ce dernier, me vient alors la question suivante : que jouer ? Malgré six ans de pratique tout de même, mon répertoire n'est pas aussi consistant que je ne l'aurais espéré, ce qui ironiquement simplifie le choix. Laissant ma main droite glisser sur les touches pâles et sombres, c'est en tournant la tête vers la fenêtre, voyant la pleine lune au milieu des étoiles que me vient l'évidence. Le Clair de Lune, de ce cher Debussy. Je roule des yeux, me disant que c'était un peu gros de la part du destin, mais que je n'allais pas faire la fine bouche, pas ce soir. Mes doigts se mettent en mouvement, alors que les premières notes résonnent dans la pièce, dans un écho presque éthéré.
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A mesure que j'avance dans l'œuvre, je commence à me demander si je n'étais pas en train de rêver. Cette nuit est si belle, presque trop parfaite pour être réelle, comme tirée d'un tableau de maître ou arrachée à une page d'un ancien roman oublié. Si belle, si calme, le temps lui-même semblant s'être arrêté, figé dans l'instant pour le vivre pleinement. Debussy aura beau avoir nommé une de ses œuvres "Rêverie", je pense que son Clair de Lune est déjà en lui-même une invitation aux voyages de l'esprit, aux errances de l'âme. Là où certains trouvent leur bonheur en voyageant aux quarte coins du monde, je trouve ma joie et ma paix entre quartes murs, bercé par quelques notes sur un simple piano droit. Les yeux fermés, c'est un soupir d’apaisement cette fois, qui s’échappe de mes lèvres alors que le tumulte dans ma tête semble s'estomper, se taire pour écouter l'onirique mélodie défiler sous mes doigts.
Je continue ainsi et alors que les dernières notes du morceau s'évanouissent dans l'air, je rouvre les yeux. Je suis dans mon lit, sous la couette alors que les premiers rayons dorés de l'aube pénètrent la pièce, de la même manière que ceux argentés de la lune la nuit dernière. Un profond étonnement et une incompréhension tout aussi vive me frappent alors. Tout cela n'était donc qu'un rêve ? Pourtant cela semblait si réel, la mélodie, le clair de lune, l'insomnie. Et cet écho, résonnant au fond de mon esprit comme un appel ou plutôt un rappel de cette bien douce nuit, est-il réel ?
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